Accéder au contenu principal

LE GRAND CHEMIN DE L’ALLAITEMENT MATERNEL À TRAVERS LES ÂGES

Loin d'être un simple acte biologique, l'allaitement maternel est depuis toujours un geste universel chargé de symboles, de traditions… et de contradictions. En tant que blogueur pour la promotion de l’allaitement maternel, je me suis souvent demandé depuis quand cette pratique faisait partie de notre histoire. Bien avant que la science nous parle d'anticorps, de colostrum ou d'exclusivité, il y avait ce geste, simple et puissant : nourrir, consoler, créer un lien. Alors, j'ai creusé. Et ce que j'ai découvert m'a émerveillé. Dans cet article, je vous embarque pour un voyage fascinant dans le temps à la découverte de cette pratique ancestrale.

📸 UNICEF Côte d’Ivoire/ Frank Dejongh 

Un don divin réservé aux déesses… et aux nourrices

Statuette d’Isis et Horus

Imaginez la scène : l'Égypte ancienne, ses temples, ses mystères… et Isis, déesse-mère, allaitant le petit Horus. Le lait maternel était vu comme une essence divine, un fluide sacré. Dans les hiéroglyphes, il est souvent représenté comme un symbole de pouvoir, de vie et même de royauté. Oui, l'allaitement maternel représente un signe de royauté.

Mais dans d'autres pièces du monde antique, comme à Rome ou à Athènes, le tableau est différent. Les femmes de haut rang déléguaient l'allaitement à des nourrices, souvent des esclaves. Ce n'était pas par manque d'amour, mais parce qu'allaiter était considéré comme une tâche "trop ​​terrestre", incompatible avec la vie mondaine ou les obligations sociales.

Et pourtant, les sages de l’époque, comme Hippocrate, vantaient les bienfaits du lait maternel. Une contradiction déjà…

Entre foi, classe sociale et rituels

Le Moyen Âge m'a beaucoup surpris. D'un côté, l'Église prônait l'allaitement comme un devoir maternel. Certaines statues de la Vierge Marie la représentent en train d'allaiter l'Enfant Jésus, pour souligner l'humanité de ce lien.

Mais dans la pratique, rien n’était si simple. Les reines et les dames de la noblesse continuaient à confier leurs bébés à des nourrices, parfois pendant deux ans, en pleine campagne. Cela permettait de préserver leur corps pour enfanter à nouveau rapidement, car oui, l'allaitement retardait le retour de la fertilité, ce qu'on appelait déjà à l'époque le "retour de canapés".

Chez les paysans en revanche, on allaitait naturellement, parfois longtemps, avec des pauses selon les récoltes, les rituels ou les conseils des guérisseuses.

Un art transmis de femme à femme

📸 UNICEF Côte d’Ivoire/ Frank Dejongh

Ce qui m'a le plus touché, c'est la richesse des pratiques dans les sociétés africaines, asiatiques, ou autochtones. Là-bas, l'allaitement était bien plus qu'un acte : c'est un rituel de passage, une preuve de maturité, un geste communautaire.

Dans certains villages africains, les jeunes mères étaient entourées de leurs aînées pour apprendre à "bien donner le sein", avec des chansons, des massages, des décoctions. On croyait que certaines plantes pouvaient "ouvrir les seins" pour faire couler le lait plus facilement.

Dans certaines tribus d'Amazonie, le sevrage ne pouvait intervenir qu'à 4 ou 5 ans, car on estimait que le lait maternel nourrissait aussi l'esprit de l'enfant. Ils savaient déjà bien avant la découverte de la science que l’allaitement maternel améliore le développement cognitif du bébé.

Quand le lait s'emballe… en boîte

📸 iStockphoto/vchal

Mais voilà que le XXe siècle arrive, et tout bascule. Avec l'industrialisation, les femmes commencent à travailler en ville, dans les usines. L'allaitement devient "peu pratique". On commence à vanter les mérites du lait en poudre, considéré comme un signe de modernité, de progrès.

Dans les années 1950, certaines publicités disaient carrément que le lait maternel était "dépassé". C'est fou, non ? Même les hôpitaux encourageaient les jeunes mères à passer au biberon. Résultat : dans certains pays, le taux d'allaitement est tombé à moins de 30 %.

Heureusement, le vent tourne. Aujourd'hui, on redécouvre les bienfaits de l'allaitement maternel exclusif, notamment grâce aux recherches scientifiques et aux campagnes de sensibilisation de l'OMS.

Mais au-delà des chiffres, j'ai compris que c'est aussi une reconquête : celle du corps des femmes, de leur autonomie, de leur droit à faire un choix éclairé.

Certaines allaitent, d'autres pas. Certaines le vivent comme une évidence, d'autres comme un combat. Et c'est ça aussi, la beauté de l'histoire de l'allaitement maternel : elle est profondément humaine, pleine de nuances, de récits, de courage. Je l’ai compris à travers les femmes de ma communauté que j’ai eu à interroger sur la question dans mes précédents articles. En Côte d'Ivoire, l'UNICEF, en collaboration avec le gouvernement ivoirien et avec le soutien financier du Canada, joue un rôle crucial dans la sensibilisation des familles à l'allaitement maternel exclusif jusqu'à l'âge de six mois.


Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

TRAORE FATOUMATA, LA VOIX DE L'ALLAITEMENT MATERNEL A BOUAKE

A l’occasion de la Semaine Mondiale de l’Allaitement Maternel du 1er au 7 août dernier, je me suis rendu à la maternité Dar-es-Salam de Bouaké où la voix de la sage-femme Traoré Fatoumata résonne avec conviction. Depuis des années, elle consacre son expertise à promouvoir l'allaitement maternel exclusif, un geste simple mais essentiel pour la santé et le développement des nourrissons. Au quotidien, elle accompagne les mères et les sensibilise à l'importance de nourrir exclusivement leurs bébés au sein pendant les six premiers mois de leur vie. Akanji et la sage-femme Traoré «L'allaitement maternel, c'est bien plus qu'un simple acte nutritionnel, c'est un lien unique entre la mère et son enfant» , affirme la sage Traoré. Son parcours professionnel l’a amenée à constater l’importance cruciale de cet acte pour la santé et le développement des nourrissons. «Quand j'étais en formation, j'ai moi-même été sensibilisée par mes enseignants. Et quand je suis sorti...

UNE PENSÉE AUX 138 MILLIONS D'ENFANTS

Aujourd'hui, 12 juin, alors que le soleil se lève sur Bouaké et que je m'apprête à entamer ma journée, une pensée tenace ne me quitte pas : la Journée Mondiale contre le Travail des Enfants. Pour beaucoup, c'est une date inscrite sur un calendrier, un rappel. Pour moi, c'est une introspection, une prise de conscience brutale de la chance que j'ai, et de l'injustice criante que vivent des millions d'enfants à travers le monde. UN photo/Jean Pierre Laffont/Des jeunes garçons transportant des briques à New Delhi (Inde) Mon premier réflexe, ce matin, a été de repenser à mon propre parcours. J'ai eu la chance d'aller à l'école, de grandir dans un environnement où mon seul "travail" était d'apprendre, de jouer, d'être un enfant. Aujourd'hui, j’ai grandi, capable de me projeter, de construire mon avenir. Ce privilège, je le mesure d'autant plus que je sais qu'à quelques kilomètres d'ici, ou même plus loin, des enfants d...

LIBÉRER LA MÈRE, NOURRIR L'ENFANT, BRISER LES TABOUS

L'allaitement est un acte d'amour inconditionnel, mais pour de nombreuses mères, allaiter en public peut susciter des regards curieux ou désapprobateurs. Pourtant, nourrir votre enfant est un droit fondamental, et il est temps de briser les tabous et de promouvoir la normalisation de l'allaitement en public. Dans cet article, nous allons explorer l'importance de ce geste, les défis auxquels les mères sont confrontées et comment ensemble, nous pouvons créer un monde où allaiter en public est non seulement accepté, mais encouragé. 1. L'allaitement en public, un droit fondamental L'allaitement en public est un droit essentiel pour chaque mère. Il ne devrait pas être entaché de honte ou de jugement. C'est un acte de nourriture, d'amour et de réconfort pour votre enfant. 📸iStock/ kali9 2. Les défis des mères qui allaitent en public Les mères qui allaitent en public sont parfois confrontées à des regards insistants, à des commentaires désobligeants ou à des l...